Je voudrais rendre compte ici de mon questionnement face à l‘utilisation de Twitter de façon personnelle par les enfants.

Depuis le début de l’année scolaire, vous le savez peut-être, j’utilise en effet Twitter avec ma classe de CP à Dunkerque (même qu’on parle normalement de nous au JT de 20h sur France 2 ce dimanche 23 janvier ^^), et très vite, la question des comptes personnels des enfants s’est posée.

Les premiers comptes d’enfants

En effet, suivre des abonnés en classe, s’habituer à dire « oh, un tweet » à l’entente du petit signal sonore, répondre dès qu’on a 5 minutes, ou diffuser une information qu’on pense intéressante, ça donne l’envie de poursuivre l’aventure hors de la classe. J’ai ainsi rapidement eu 4 élèves qui se sont créé des comptes avec leurs parents.

Ma première question a été de savoir si oui ou non je devais exploiter ces comptes personnels en classe. J’aurais pu en effet créer un compte par enfant, mais premièrement j’aurais eu du mal à gérer les identités de chacun, et deuxièmement, ça donnait moins d’audience à chaque enfant, alors que lorsqu’ils s’expriment sur le compte de la classe, ils savent que des gens les lisent, et peuvent ainsi réagir (répondre, commenter, retweeter… cela fait vraiment partie de la motivation).
J’ai donc fait le choix de laisser ces comptes persos en dehors de la classe, en les encourageant toutefois à produire, sachant qu’ils apparaissent dans la Timeline du compte-classe.

Poser les règles et intégrer les parents

Cependant, laisser des enfants de 6 ans aller sur Twitter sans aucune limite, même si ça n’engageait pas ma responsabilité directe, ça mettait bien en cause ma responsabilité morale. Il ne faudrait pas que des parents viennent me reprocher de pousser leurs enfants dans un monde d’adultes qui ne leur correspondait pas.

J’ai donc rapidement fait, sur conseils de mes collègues twitteuses, une charte d’utilisation de Twitter avec les élèves, sur laquelle le premier point dit clairement :

Quand je vais sur Twitter, je suis avec mes parents ou avec le maître pour écrire ou pour lire.

C’est peu de chose, mais au moins c’est dit, et c’est écrit.

J’ai accompagné cela d’une réunion avec les parents  sur la découverte de Twitter et sur mes 3 objectifs principaux : la production d’écrits, l’utilisation des nouvelles technologies (matériel et internet), et l’éducation aux médias. J’avais certes déjà rédigé un article sur Twitter sur notre site d’école, mais il me semblait important de provoquer une vraie rencontre entre les parents et l’outil (j’en reparlerai dans un prochain article).

Cette réunion et cette charte ont eu des conséquences positives : de nouveaux élèves ont rejoint ceux qui étaient déjà présents (la moitié de ma classe est sur Twitter), les profils se sont affinés (disparition du nom de famille, choix d’un pseudo ou d’un avatar adapté, présence de l’adulte pour la rédaction des tweets…), moins de parents ont tapé directement les tweets des enfants, au profit d’une plus grande autonomie surveillée…

Que disent les enfants sur Twitter ?

En général, ce que je vois passer sur Twitter en dehors des horaires scolaires est très ressemblant à ce qu’on vit en classe. Voici quelques thèmes abordés par les enfants :

  • raconter un évènement
  • poser une devinette ou une énigme
  • relayer une découverte
  • retweeter un camarade

Mais le « tweet à la maison » a aussi ouvert d’autres horizons, plus personnels :

  • partager le lien d’une vidéo ou d’une chanson qu’ils aiment
  • envoyer une photo d’une activité
  • discuter de choses anodines, presque comme sur une messagerie instantanée.
  • souhaiter des anniversaires

Je n’imagine même pas les autres prolongements possibles, mais je compte sur la créativité des enfants et de leurs parents !

Comment je gère ce « hors-classe » ?

D’un point de vue pédagogique, je voyais dans cette utilisation de Twitter en dehors de la classe une possibilité de faire produire encore plus mes élèves. Comme je le remarquais sur Twitter il y a quelques jours, je n’avais pas donné de « devoirs » un soir, et j’ai 8 élèves qui ont pris le temps d’écrire une petite phrase sur Twitter. S’ils n’ont pas eu l’impression de travailler, ils ont au moins utilisé la langue française et l’ordinateur 🙂

Afin de relancer parfois les discussions, ou de les guider en cas de difficulté, je me suis créé un compte « prof », abonné aux comptes personnels des enfants, mais qui est distinct de mon compte personnel. Cela permet aux enfants d’y être abonné, sans subir toutes mes bêtises sur mon compte perso qui ne sont pas forcément adaptées à des jeunes enfants.
Ce compte apparaît aussi dans la timeline du compte classe, ce qui permet, chaque matin à l’école, de suivre les discussions qui se sont passées en « off » (et là aussi, c’est l’occasion de voir clairement le côté public de Twitter : ce qu’on raconte à la maison, on peut le lire en classe, sauf si ce sont des échanges en messages privés).

Et le lâcher-prise ?

J’ai eu le cas d’un enfant qui s’est très vite créé un compte personnel, qui est très à l’aise avec l’outil informatique, et qui s’était donc abonné à de nombreux adultes ayant réagi sur la Timeline de la classe (rien de grave, mais ça n’était pas adapté pour lui) et qui échangeait même, avec son orthographe douteuse, sur des sujets qu’il ne comprenait même pas : la discussion pour la discussion, peu importe le contenu.
Il a donc fallu que je reprenne avec lui les règles (il m’a avoué ne pas toujours être avec un « grand » sur Twitter) et faire, avec lui, le ménage dans ses abonnements. Je rencontrerai bientôt ses parents pour leur redire les règles du jeu, et leur responsabilité éducative face au Net.

Éduquer à Internet, c’est comme tous les apprentissages.
On apprend à nos élèves à lire : on n’est pas à l’abri qu’ils tombent sur des textes ou des illustrations inadaptées à leur âge…
On apprend à nos enfants l’autonomie, on n’est pas à l’abri qu’ils soient un jour arnaqués, volés, insultés en revenant d’une course seuls à la boulangerie…
On apprend à nos enfants à respecter les trottoirs et les passages protégés, on n’est pas à l’abri qu’un jour un fou du volant les blesse alors qu’ils respectaient nos consignes de sécurité…

Ces enfants vivront avec Internet, c’est un fait. Je pense qu’en les éduquant à son usage, via Twitter ou via d’autres médias, on oeuvre pour une meilleure connaissance de l’outil, de ses risques mais aussi de ses richesses. Et si en plus cette éducation peut être partagée et cohérente entre la maison et l’école, alors je pense que j’ai rempli une partie de mon rôle.

6 commentaires “Utiliser Twitter hors classe : la question des comptes personnels”

  1. Merci d’avoir partagé cette expérience, pour moi tout y est: en plus des objectifs liés à l’écrit… il y a la formation du citoyen : l’enfant et indirectement ses parents, or je ne vois pas qui d’autre que l’école peut faire ça… surtout qu’on n’arrête pas de reprocher aux gamins de mal utiliser les outils alors que personne ne leur a appris à les utiliser… l’autre alternative étant de tout interdire.. donc merci de montrer qu’on peut faire autrement

    1. Merci pour ce commentaire encourageant, et qui rejoint bien les avis des parents présents à ma réunion… J’en reparlerai prochainement !

  2. J’aime beaucoup, c’est vraiment vraiment intéressant!!! C’est clairement une motivation qui est tout l’opposé de l’artifice: c’est la vie et elle rentre dans l’école. Je rejoins le message de Sabri!

    Mais un soucis: le matériel coûte un pont!!! Comment faites-vous?

    M. (une instit belge très intéressée qui vient de voir le reportage sur france 3)

    1. J’ai débuté avec mon ordinateur personnel. Alors certes le matériel est nécessaire, mais il n’est pas un préalable : les objectifs le sont, la motivation aussi.
      Après, j’ai la chance d’avoir une équipe de gestion de l’école qui suit, et qui depuis 10 ans, essaie d’être à la hauteur : salle informatique, création d’un site internet avec les élèves, et depuis cette année, 7 portables qui tournent entre les classes, et 2 TBI très utiles. Et c’est vrai que ça facilite les choses ! 🙂

  3. Je vis ne ce moment au Canada et viens de voir le reportage sur TV5. Ce que vous faites est vraiment superbe. Serait-il possible de placer le segment vidéo de ce reportage sur YouTube ? J’aimerais pouvoir le présenter lors d’une conférence que je donnerai en mai sur les défis que posent les nouvelles technologies, notamment en matière de lecture.

    Ce reportage m’a fait découvrir votre blog et, là encore, je suis impressionné par la qualité de votre réflexion pédagogique.

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