Pour la troisième année consécutive, j’utilise Twitter comme outil d’écriture pour apprendre à lire avec des élèves de 6 ans.

Qu’on ne se méprenne pas : il s’agit d’un outil parmi les autres, entre des outils d’entraînement (b-a ba, méthode des Alphas, méthode phonétique et gestuelle de Borel-Maisonny, fichier Max, Jules et leurs copains de chez Hachette), et des outils de compréhension et de motivation à la lecture (albums de jeunesse, projets thématiques comme le suivi du Vendée Globe).

 

Des élèves déjà consommateurs

Contrairement aux années précédentes, les élèves que j’ai accueillis en classe connaissaient déjà Twitter, à la fois grâce aux médias, comme on peut connaître « Coca » ou « Decathlon » (Twitter est mentionné régulièrement dans les médias traditionnels), mais aussigrâce à leur utilisation en Maternelle avec ma collègue qui leur faisait taper régulièrement des messages écrits en dictée à l’adulte sur le compte @Classe_Corinne.

 

Une mise en route plus longue

Les années précédentes, je me sentais encore en phase d’expérimentation, ce qui nous imposait la présence d’observateurs(journalistes, observateurs éducatifs, visites en classe…), de comptes à rendre, de bilans réguliers. Cette année, ce n’est plus le cas : l’outil est passé dans le quotidien, dans l’habitude, à tel point que les tweets quotidiens sont intégrés aux rituels d’apprentissages du matin (avec les poésies, le calendrier, les « mots du jour »…).

Je ne sais pas s’il faut y voir une relation de cause à effet, mais le démarrage de l’utilisation de Twitter a été plus lent cette année. Je l’analyse sur plusieurs plans :

  • Il n’y a plus la motivation de la nouveauté de ma part (on ne se refait pas, j’aime l’inconnu) ou de la part des élèves connaissant déjà l’outil. Faire tweeter mes élèves en classe devient presque trop attendu pour moi, même si j’ai encore de belles surprises en terme d’apprentissage.
  • Cette année, je perçois les élèves plus en difficulté face au matériel : les années précédentes, j’avais quelques « geeks » qui entraînaient les autres et qui leur apprenaient des astuces. Cette année, je dois passer par beaucoup plus de temps en usages collectifs du matériel (sur TNI), et après 1 mois et demi, enfin, les apprentissages par pairs se mettent en place.
    Ceci montre que certains gestes doivent encore s’apprendre pour devenir naturels (ouverture d’un document, positionnement d’un curseur, sélection, copier-coller, …), même si nos enfants sont nés avec les outils numériques.
  • Cette année, j’ai plus d’élèves (29 CP contre 22 ou 24 les années précédentes). Ce n’est pas un critère essentiel, mais ça rend plus longues les corrections des premiers jets d’écrits lors des projets d’écriture communs à la classe.
  • D’autres petits projets, éclipsés par la toute-puissance de Twitter, renaissent dans ma classe : élevage d’araignées, enregistrements de poésies, activités artistiques (si ma collègue passe par là, elle va se moquer…), et tout cela demande du temps que je ne consacre pas à la découverte collective du réseau social.

Ceci dit, la motivation pour écrire est toujours là, et ne serait-ce que pour cette raison, je continuerais à tweeter, même en cachette si on me l’interdisait

 

Twitter, moteur !

L’outil « ordinateur », « smartphone » ou « tablette » est encore, pour ces enfants pourtant tous équipés chez eux, attractif. Je sais pertinemment que certains enfants font l’effort de produire un petit texte, pas forcément pour le communiquer, mais pour pouvoir le taper au clavier ou à la tablette ! Cette motivation n’est pas très sensée, mais est-ce insensé que quelqu’un puisse écrire au stylo-plume juste pour le plaisir du geste, et non pour le texte produit ? Ou que d’autres aiment prendre la route juste pour le plaisir de la conduite, pas pour le lieu où ils vont ?

Niveau usage, je continue comme les années précédentes à me servir de Twitter comme un prétexte à l’écriture quotidienne. L’outil nous offre un lectorat potentiel réel avec plusieurs centaines d’abonnés, et des mentions, des réponses ou des retweets à chaque message envoyé. Pour l’enfant qui écrit, c’est très porteur de se savoir lu, de saisir concrètement que ce qu’il fait (lui sait qu’il fait, moi je sais qu’il apprend) est reçu et reconnu par quelqu’un.

Les tweets envoyés sont surtout de la production (« tweet du bonjour » et de la fête du jour, dicton du jour, météo, mot du jour, « tweet des journalistes » concernant un aspect de la vie de l’école ou de l’actualité), et un peu de communication (réponses, questions ou remerciements à nos abonnés). Chaque jour, pour chaque tweet, un enfant est choisi dans l’ordre de la liste alphabétique de classe, et j’encourage systématiquement le travail par binôme (l’enfant choisit son partenaire), de l’écriture sur cahier à l’envoi sur le réseau.

Comme promis, j’ai désabonné la classe des autres comptes de classes trop nombreux l’an dernier (nous ne les lisions plus). Le résultat attendu est là : les enfants en découvrent quelques-uns progressivement, et choisissent, avec mes conseils, les comptes à suivre. Je remarque d’ailleurs qu’ils sont beaucoup plus sensibles aux« inconnus » qui nous répondent ou qui nous retweetent qu’aux autres classes. Je pense que c’est la plaisir de l’inattendu (y compris pour moi), mais aussi la variété des avatars qui plaît beaucoup aux élèves !

Je conserve dans l’usage mon objectif d’écriture, et évite donc au maximum de taper un tweet à la place des enfants. Lorsque ça arrive, pour des raisons diverses (nécessité de répondre rapidement, entretien d’une conversation…), je passe toujours par une dictée à l’adulte des idées des enfants, et m’attarde sur la structure de l’écrit(est-ce que j’ai bien mis la majuscule ? Quel point va-t-on mettre ? Tiens, pourquoi ai-je mis un ‘s’ à la fin de ce mot ?). Et je constate que ces tweets collectifs sont aussi nécessaires pour servir de modèles magistraux à certains enfants.

 

Le coin des tehniciens

Au niveau des outils utilisés, je fonctionne de façon assez semblable aux années précédentes :

  • Un cahier d’écrivain par enfant, où l’élève rédige avec son binôme le petit message. Je fais réécrire si la tournure n’est pas bonne, si la phonétique n’est pas du tout respectée, et je corrige l’orthographe avant passage sur ordinateur. J’ai pratiquement abandonné l’utilisation d’une grille contenant 140 cases pour passer du cahier à l’ordinateur, cette étape devenant très vite superflue.
  • Un compte « Google Drive » (anciennement Google Doc) par élève, qui lui sert de « cahier de brouillon numérique ». Il y recopie le tweet corrigé, en y faisant toutefois des erreurs de frappe, d’accentuation, ou de majuscules.
  • 4 ou 5 ordinateurs portables traînent dans la classe, et nouveauté cette année, quelques tablettes (iPads et GalaxyTab sous Androïd). Tout ce matériel est connecté au compte Google de l’école, ce qui permet de travailler n’importe où…
  • Le logiciel Tweetdeck permet d’envoyer les messages sur Twitter. En début d’année, cela se fait systématiquement sur le TBI, pour que ce soit visible par tous (même si les élèves sont occupés ailleurs). L’enfant ouvre son document Google que j’ai corrigé au préalable, sélectionne le message, fait un copier-coller (ils connaissent tous le CTRL+C et CTRL+V ). Ils ont pris l’habitude, avant d’appuyer sur « Send », de me demander s’ils peuvent faire partir le message.
    Vieux jeu que je suis, je reste fidèle à l’ancienne version du logiciel Tweetdeck (version jaune), qui me semble plus adaptée aux enfants et à l’usage scolaire : travail quotidien sur la numération grâce à l’affichage du nombre d’abonnés sous les avatars présents dans les colonnes du logiciel, RT beaucoup plus visibles… La nouvelle version (bleue), la version Web de Twitter ou les applications mobiles sont cependant utilisées de temps en temps, par souci de synchronisation avec la l’usage domestique.

 

Et l’éducation dans tout ça ?

Lorsque j’assure des formations auprès d’autres enseignants concernant les réseaux sociaux, je suis le premier à marteler qu’il faut une charte d’utilisation de ces outils en classe. Et pourtant, après 2 mois d’utilisation, elle n’est toujours pas rédigée dans notre classe.

L’an dernier, j’avais fait intervenir des élèves de CE1, anciens utilisateurs de Twitter, pour apporter le « code de Twitter« , genre de règle du jeu. Avec le recul, je ne suis pas satisfait de cette façon de faire : la règle est apparue comme imposée, tombée du ciel, et n’a pas été construite dans l’usage…

Du coup, cette année, j’accompagne les élèves dans les découvertes et les exigences :

  • « N’oubliez pas d’être polis au début de votre tweet ! » ;
  • « Ah, pour les photos, il faut que je vous dise… Si on veut mettre la photo d’un copain, on est obligé de demander à ses parents… » ;
  • « Bon, pour suivre le Vendée Globe, on va s’abonner à quelqu’un d’autre qu’à une classe ou qu’à des copains, mais c’est exceptionnel… »

J’attends avec impatience les premiers messages indésirables pour leur apprendre à bloquer un compte.
Quand ces points importants auront été intégrés dans notre pratique, alors nous rédigerons notre règlement de l’utilisation de Twitter à 6 ans.

Il n’y a qu’une chose que je ne leur dirai pas, c’est que Twitter est interdit aux moins de 13 ans. Leurs parents, par contre, le savent depuis ma réunion de début d’année, et je ferai une soirée de« formation Twitter » pour les volontaires qui veulent accompagner leur enfant sur le réseau avant les vacances de Noël.

En effet, pour moi, cette appropriation de l’outil, et donc de l’écriture, en dehors du cadre scolaire, est essentielle : elle permet à l’élève de prendre le contrôle de son apprentissage du code, des règles sociales… Ces usages en-dehors de l’école, mais publics(j’abonne le compte de la classe à chaque compte d’enfant) permettent aussi une véritable éducation, car c’est là qu’on peut observer les imperfections (ou parfois des dérapages) :

  • « Que pensez-vous de l’avatar choisi par Nathan ? » ;
  • « Trouverez-vous ce qu’a oublié Hassan au début de son prénom ? » ;
  • « Lina doit-elle donner son nom de famille dans le pseudo qu’elle a choisi ? ».

Ceci dit, je ne pousse personne à cette utilisation « familiale » de Twitter, car elle doit être prise avec beaucoup de précaution, être expliquée, encadrée et accompagnée (enfants et adultes). Cependant, chaque message écrit « à la maison » est l’occasion de comprendre pourquoi nous passons du temps à apprendre en classe.

Tiens, en parlant de ça, qui a dit que les devoirs étaient interdits à la maison ?
;-)

Pour suivre les élèves, c’est toujours sur @Classe_Masson !
Et pour les commentaires, c’est ci-dessous…

7 commentaires “Twitter en classe de CP, saison 3.”

  1. Merci pour la p’tite dédicace, spéciale collègue !!! 🙂 lol
    En tout cas, il y a de la réflexion derrière tout ça ! Bravo !

  2. Bonjour et bravo pour travail que je suis avec plaisir depuis un moment maintenant 🙂

    J’aimerai savoir pourquoi vous ne dites pas à vos élèves que Twitter est un outil interdit aux moins de 13 ans ?
    Et que leur répondez vous (ou que conseillez vous de répondre aux parents) si ils posent la question de l’utilisation du réseau par des enfants ?

    Merci

  3. Bonjour,

    merci pour votre commentaire. Alors en effet, pourquoi ne pas dire à mes élèves que Twitter est interdit aux moins de 13 ans ? Peut-être parce que j’aurais peur que dans leur tête, ça se confonde avec un « t’es trop petit pour écrire », ce qui est loin d’être vrai quand je vois leurs productions…
    Peut-être aussi parce que ça fait mauvais genre pour un enseignant de faire faire à ses élèves quelque chose d’interdit ? A vrai dire, je ne suis pas dogmatique, et s’il faut le dire, je le dirai. D’ailleurs, dans notre charte, c’est le premier point : « je ne vais pas seul sur Twitter »…

    Dans tous les cas, les parents sont au courant de leur responsabilité (et de la mienne) face aux écrits des enfants, et aussi face à la construction de leur image numérique, en tant que personne (les traces écrites associées à prénom – nom restent sur le net…).

    J’explique le pourquoi du réseau, l’intérêt du « écrire pour être lu » et l’importance des essais et des erreurs dans l’écriture (essentiel de laisser faire l’enfant, et de faire un 2e essai s’il le faut, accompagnée par l’adulte).
    Voilà en résumé…

  4. Merci pour votre réponse, au plaisir de vous lire encore et de suivre les nouvelles aventures de votre classe (sur facebook ?) 😉

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