Késako ?

Depuis quelques années, le modèle de la « classe inversée » séduit les enseignants, certainement à juste titre. Si vous vivez dans une caverne pédagogique, en quelques mots, user d’une « pédagogie inversée » consiste à exporter hors de la classe le contenu plus théorique des apprentissages, via notamment les outils numériques(vidéo à visionner avant les cours par exemple), et de consacrer le temps de classe à l’entraînement, à la manipulation, à des parcours plus individualisés.

A priori, pédagogiquement, ça se tient. C’est même le sens dans lequel je voudrais vivre ma classe : faire des apprentissages, au lieu de transmettre et de recevoir des connaissances…
Michèle Drechsler, inspectrice de l’Education Nationale, qualifie d’ailleurs à juste titre  cette pédagogie inversée de « pédagogie du bon sens ».

Alors pourquoi suis-je gêné par cet angle de vue ?

Apprendre, oui, mais quoi ?

J’approuve le fait que le temps de classe soit consacré non plus à de la transmission directe de connaissances, mais à des activités et à des projets qui mettent les élèves en action, voire en interaction. Cela doit provenir de mon côté « socio-constructiviste », désolé pour le gros mot.

J’approuve l’usage de ressources et d’outils numériques mis en oeuvre par ceux qui utilisent cette pédagogie : les enseignants créent et mutualisent du contenu, les élèves se connectent et potassent leurs cours depuis chez eux, dans la cour de récréation ou au bowling (si, si, on l’espère…).

Mais.

Ce qui me dérange profondément, c’est que cette admiration envers cette idée géniale prouve que notre relation au savoir n’a toujours pas évolué : nous accordons la plus grande importance à la mémorisation des connaissances. Certes, ceux qui ont testé cette pédagogie sont convaincus que les savoirs s’acquièrent mieux en manipulant, en échangeant et en expérimentant, mais nous restons dans cette certitude dont je voudrais tellement m’éloigner que la connaissance est la fin ultime.

Ma conviction est qu’à l’heure du numérique, apprendre doit changer. Il ne s’agit plus de recevoir ou de construire des connaissances, mais de développer des compétences qui permettent d’accéder à ce savoir. J’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes en disant cela, mais quand je vois le contenu de mes progressions, je me dis qu’on est loin du compte.

 

Des apprentissages utiles

La calculette nous fait des calculs très savants ? Qu’on arrête donc d’apprendre à poser des divisions à la main en CM1 et qu’on s’entraîne à vérifier les ordres de grandeur !

Internet nous permet de tout trouver très vite ? Qu’on arrête donc d’apprendre des dates et des définitions par coeur, mais qu’on découvre le monde avec plaisir, en projet, par le jeu, par l’échange, en croisant les sources et en apprenant qu’un même sujet peut être étudié sous plusieurs angles de vue.

Les élèves n’écriront plus à la main dans 10 ans ? Cessons de passer des heures à leur réclamer de savoir tracer le H majuscule, mais apprenons-leur à faire le bon choix grammatical et orthographique dans les propositions du clavier Androïd de la tablette…

Concrètement, cela révolutionne notre façon de faire classe, et j’en suis encore très loin : des compétences à acquérir et non des programme rédigés en « contenus » , un temps de classe limité à la « vie » et à l’action et non plus au bachotage ou à la répétition de connaissances, et aussi accessoirement la recherche constante du« c’est pour du vrai » dans nos actions de classe.

 

Dégagement de responsabilité

Qu’on m’entende bien, je ne jette pas la pierre aux enseignants qui pratiquent la pédagogie inversée ou qui construisent des capsules vidéos pour anticiper ou prolonger l’apprentissage, bien au contraire, je les admire ! Je pense juste que derrière une innovation qu’on trouve formidable se cache notre désespérance d’accorder encore tant d’importance à la théorie, à la connaissance… Est-ce en l’exportant hors des murs de la classe qu’on cessera de lui donner la priorité sur la compétence, sur le savoir-faire ? Peut-être… Mais si nous allions plus vite en remplaçant les apprentissages qui peuvent être économisés, ne préparerions-nous pas mieux nos enfants au monde de bientôt ?

12 commentaires “Pourquoi la pédagogie inversée ne me séduit-elle pas ?”

  1. Très bon article, synthétique et clair. Il résume ce que j’exprime depuis quelques temps au sujet de la classe inversée. Tu mets en mots les réticences que je rencontre vis-à-vis de ce dispositif. Et tes espérances quant à une autre approche de la connaissance rejoignent complètement les miennes.

  2. Puis-je ajouter que la classe inversée s’apparente à des devoirs et qu’il est prouvé depuis bien longtemps que les devoirs sont vecteurs et reproducteurs d’inégalités sociales? Que les professeurs proposent de mieux contrôler ce qu’ont fait les élèves grâce au numérique? (La carotte et le bâton…). Il est déjà temps de dépasser ce modèle malgré les promesses qu’il a fait naître.

  3. Apprendre des définitions et des dates… ce ne serait pas ce qu’on appelle la culture générale et qui tend à se réduire comme peau de chagrin… La mémoire doit être entraînée régulièrement sinon, elle s’atrophie, comme la culture tiens…

  4. Excellent billet, je te rejoins, tu as su expliciter mon attirance et en même temps une forme d’appréhension de m’y plonger à corps perdu ..comme à chaque fois que je démarre quelque chose qui m’attire.
    Tu pourras me donner ton avis au sujet de la neuro-pédagogie (mon nouveau dada)? Hé hé..

  5. Merci pour vos commentaires. Je suis confus, mon blog a été fermé par Free (trop de spam dans la base de données) ; le revoici sur des rails, mais j’ai perdu les commentaires les plus récents et les réponses que je vous avais adressées.
    N’hésitez pas à reposter au besoin !

  6. Bien d’accord avec ce texte ! Vous trouverez sur le blog dont l’adresse es t ci-dessus un billet plus sévère que le vôtre, même s’il s’efforce d’être « gentil », pour des gens qui cherchent — ce qui est bien, même s’ils se trompent !…

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