Non, je ne vous parlerai pas du Qatar, n’en ayant pas vu grand chose, mais d’Éducation. Je sors en effet d’une semaine au sommet mondial WISE, et je ne peux me permettre de garder toutes ces richesses reçues pour moi.

 

WISE, quésako ?

Wise est l’acronyme de World Innovation Summit for Education. Si vous possédez mon excellent niveau d’anglais, vous avez déjà compris qu’il s’agit d’un sommet mondial à propos d’éducation, et notamment d’innovation. A vrai dire, il s’agit d’une rencontre mondiale d’acteurs de l’éducation de plus de 100 pays, organisée par la fondation du Qatar, qui encourage et participe au financement de quelques projets dans le monde, notamment dans les pays en développement.

 

 

Un public très diversifié

J’étais invité à ce sommet  avec mon étiquette d’enseignant innovant(suite à l’utilisation de Twitter avec mes élèves de CP depuis 3 ans). A ma grand surprise, sur plus de 1000 participants, très peu étaient enseignants en poste : décideurs politiques, membres d’ONG, chercheurs, entreprises, associations, … du très beau monde pour parler d’innovation, mais peu d’enseignant. Ces-derniers seraient-ils mis de côté dans la réflexion aux changements attendus par tant d’acteurs ? Ou est-ce simplement parce que ce ne sont pas les professeurs qui prennent vraiment les décisions ?

J’ai pourtant toujours eu le sentiment que tout partait de nos classes, comme le suggère cette fable du Colibri entendue sur place.

 

L’innovation ?

Lors de ce sommet, dont le fil rouge était celui des apprentissages collaboratifs et des réseaux d’apprenants, l’innovation fut au coeur des débats et des échanges. J’ai perçu, de l’intérieur qu’il y avait partout dans le monde cette volonté d’améliorer l’éducation, depuis l’accès pour tous, jusqu’à la cohésion du système éducatif avec la société et avec l’époque, en passant par l’intégration de tous les acteurs qui gravitent autour de l’enfant et du jeune. Et comme les constats sont majoritairement « on n’est pas encore allé assez loin », la solution évidente est celle d’innover.

Les discussions quotidiennes m’ont souvent questionné sur l’équilibre à trouver entre vieilles marmites et nouvelles méthodes. Le centre de notre travail est l’apprentissage de l’enfant ; comment être le plus efficace possible dans ce monde où l’accès au savoir est devenu tellement facile avec les technologies, et comment donner en même temps aux élèves une culture de citoyens acteurs dans leur environnement ?

 

Le bien-être de l’enfant

Je vous avoue que j’ai souvent eu honte de notre système français, et à commencer de mon propre fonctionnement en classe. De nombreux pays ont déjà des solutions éducatives qui sont vraiment à l’écoute de l’enfant, dans son parcours, dans le temps laissé à l’apprentissage, dans son mode d’évaluation, dans ses ressentis… J’ai l’impression qu’en France, nous faisons tout l’inverse, que ce soit avec nos diplômes, nos modes d’évaluations ou nos emplois du temps et programme très cloisonnés.

Bien-sûr on a parlé de la Finlande et de son système quasi-magique(vraiment, il faut que j’aille y faire un tour), mais aussi des situations ludiques, des classes ouvertes aux parents, des possibilités d’accompagnement qu’apportent les situations d’enseignement en ligne (y compris les classes inversées)

 

Parler d’argent sans tabou

Je suis toujours assez surpris d’entendre comment en France le rapprochement entre l’école et l’entreprise est un sujet tabou, voire considéré comme une casse du service public.

Je me suis vite rendu compte que dans la variété des pays représentés, c’était loin d’être le cas. Certes, il a été rappelé que l’Éducation était avant tout un service public, mais que dans ce contexte, il peut être essentiel et sensé de faire appel à des entreprises, à des financiers ou à des intervenants extérieurs à l’école pour développer la qualité de l’éducation. L’éducation est l’affaire de tous, et non pas une réserve de chasse pour quelques professionnels.

Bien-sûr, la fondation du Qatar participe à des mécénats tels que l’initiative « Educate a Child » lancée lors du sommet. Plus modestement, il a été évoqué les apports de qualité que pouvaient fournir les entreprises. Tous gagnants, c’est le maître-mot, en gardant à l’esprit les objectifs de chacun : le bénéfice pour l’entreprise, l’apprentissage pour l’école, mais là encore, la coopération est bénéfique si elle est au profit de l’enfant.

 

L’accent mis sur la qualité de l’éducation

J’ai été assez frappé par la récurrence du critère qualité. Même dans un continent comme l’Afrique où la priorité reste encore la scolarisation de tous les enfants, notamment des filles, l’accent a toujours été mis sur la qualité des solutions proposées. Comment peut-on donner le goût d’apprendre à nos enfants si l’école ressemble à celle du « chagrin » chanté par Renaud ? Comment améliorer la qualité des cours si les profs n’ont même pas l’envie de le faire ?

La solution la plus souvent avancée pour cette qualité d’éducation est la formation des enseignants. Il ne s’agit pas de juger ceux qui feraient mal leur boulot, mais de proposer une formation qui permette d’interroger les pratiques, de donner des outils pour avancer, pour créer, pour collaborer entre collèges et avec les acteurs autour de l’école.

Je suis d’avis qu’en France l’accent ne doit pas être tant mis sur la formation initiale que sur la formation continue, pour ne pas sacrifier la génération actuellement en poste. Cependant, je n’ai pas entendu parler de situations concrètes, tant les différences contextuelles sont importantes dans le monde.

La question du statut de l’enseignant a aussi été soulignée, avec le contraste de la Finlande (encore elle) qui peut choisir le meilleur professeur parmi une moyenne de 8 candidats pour un poste libéré, et la France où l’on est enseignant parce qu’on n’a pas pu être avocat ou médecin (je caricature et je provoque, mais l’idée est là).Pourquoi la société aime-t-elle si peu ses enseignants, alors qu’on a tous le souvenir d’un enseignant qu’on a adoré ? Est-ce seulement un problème de personnes, ou de compétences ?

 

Du numérique, mais pas trop

Lorsqu’on parle d’innovation en éducation, les projecteurs se braquent rapidement vers les solutions technologiques. Il a pourtant été souvent souligné qu’elles n’étaient que des outils pour mettre en oeuvre des choix pédagogiques et pour améliorer la qualité dans l’espace et dans le temps de l’enseignement. L’idée générale est que l’innovation doit être avant tout pédagogique (je dirais même éthique)avant de penser au « comment ».

Certains intervenants ont d’ailleurs exprimé des doutes, que je ne partageais pas, sur la pertinence des outils numériques. Il faut dire que les contextes sont très variés dans le monde, et pour des écoles où l’accès à l’électricité est un luxe, on peut comprendre les difficultés. Toutefois, étant donné que le « cloud » permet un accès universel à la connaissance et permet surtout d’améliorer notre culture collective, il serait dommage de passer à côté de cette chance pour le 21e siècle.

 

Ce que j’apporte en classe

Comme à chaque rencontre en éducation, je reviens d’abord avecbeaucoup d’énergie pour ma profession. La question est comment je vais savoir transformer cela concrètement. Je le sais, cette énergie sera bien présente dans le regard que je porte à l’enfant : être bienveillant, poser des conditions agréables d’apprentissages, laisser du temps, prendre des chemins ludiques et motivants d’apprentissages, agir au lieu de subir…

Sur le plan de l’évaluation, je veux continuer à m’interroger. Je suis persuadé que nos fonctionnements mettant dès la Maternelle une certaine forme d’élitisme, que ce soit avec des points verts ou des bonnes notes, est une erreur. L’école est là pour faire apprendre, qu’elle s’en donne donc les moyens et qu’elle laisse à l’élève le temps d’y accéder. Plus de choix dans les parcours, moins de stress des programmes, du « je sais (faire) » et du « j’ai envie de savoir / de faire », mais jamais du « je ne sais pas ».

J’apporte aussi de nombreuses questions, que je m’étais pour la plupart du temps déjà posées, mais dont l’universalité m’ont frappé : toutes les écoles du monde se demandent comment rendre leurs élèves plus heureux, comment s’adapter à chacun, comment rendre efficace notre éducation, comment former correctement les enseignants, comment prendre en compte le changement du rapport au savoir apporté par les nouvelles technologies, comment travailler une culture de groupe…

Enfin, j’aimerais plus que jamais créer ou participer à des groupes de réflexion pédagogique concrets et adaptés au quotidien de nos écoles. Des contacts parmi mes « coups de coeurs » à suivre ont été pris en ce sens.

 

Des coups de coeur

Je ne vais pas vous faire le détail de tout ce que j’ai découvert là-bas, mais juste mettre en lumière 3 éléments parmi d’autres.

  • Lien entre global et local

Un débat sur l’équilibre à trouver entre l’éducation au global, pour préparer les enfants au monde de demain, et l’éducation au local, pour créer des citoyens ayant du pouvoir dans leur société, était particulièrement intéressant. Vous pourrez le retrouver (bientôt) en anglais par ici.
Il m’a fait prendre conscience que cette guerre entre méthodes ou visions de l’enseignements étaient réellement injustifiées, et que tous nos choix ne devaient répondre qu’à une question d’équilibre.

  • Fonctionnement du cerveau

Stanislas Dehaene, neurologue et professeur au collège de France, était présent à Doha pour faire un topo sur « comment le cerveau apprend à lire », en partant de cette formule étonnante : « les enseignants connaissent souvent mieux comment fonctionne leur voiture que comment fonctionne le cerveau de leurs élèves ».

Avoir un éclairage scientifique, argumenté, c’est aussi quelque chose qui fait du bien en éducation, pour s’éloigner de la passion et des débats trollesques entre méthodes et approches pédagogiques.
Il a  montré la plasticité du cerveau et sa transformation anatomique lors de l’apprentissage de la lecture, par des connexions formées entre le système visuel et le système auditif, d’où l’importance d’apprendre aux enfants les correspondances entre ce que l’on voit et le son produit. Cela m’a bien confirmé dans mes outils et méthodes employées pour l’apprentissage du code.

Cette intervention est à revoir en anglais par ici.

  • Les fondamentaux en mathématiques

Conrad Wolfram, physicien et mathématicien de Grande-Bretagne, nous a montré que les fondamentaux en mathématiques ont changé depuis quelques années, et que pourtant l’apprentissage consacre toujours autant de temps au calcul, qui n’est plus un fondamental avec l’arrivée des machines. Le temps libéré par la non-nécessité d’apprendre à poser des opérations serait libéré pour aller plus loin dans la réflexion mathématique, notamment l’approche par les problèmes.
L’orateur a pris l’exemple parlant de la photographie : à une époque, le fondamental était la chimie (pour le développement sur papier), aujourd’hui, son évocation n’est plus nécessaire.

Les fondamentaux évoluent, notre programme et nos pratiques devraient s’adapter aussi, c’est en gros le message qu’il a voulu faire passer. C’est d’ailleurs le genre de question que je m’étais posée à propos de la pertinence de passer encore tant de temps à écrire à la main (article par ici). Depuis, j’ai nuancé un peu mon propos grâce à l’éclairage de la neurologie, mais je reste convaincu qu’on doit se débarrasser des apprentissages de la vieille école qui ne servent plus la société de demain. Sauf peut-être s’ils apportent du plaisir, le débat reste ouvert…

Intervention en anglais par ici.

  • François Taddéi

J’ai eu le plaisir de discuter à plusieurs reprises avec François Taddéi, chercheur à l’INSERM, que je vous invite à découvrir si vous ne le connaissez pas via cette vidéo TedX. Nos échanges m’ont permis de faire bouillir un peu plus mon cerveau en élargissant les champs des possibles avec mes élèves, en matière d’apprentissage collectif, de mise en recherche, d’évolution. Apprendre autrement, et surtout apprendre « maintenant » (en lien avec l’expression main-tenant de Michel Serres), c’est réalisable, mais encore faut-il se lancer, si possible en équipe !

 

Enfin, j’envoie un remerciement spécial à l’équipe de WISE qui nous a accueilli de façon magistrale : peu d’attente, beaucoup de disponibilité, un confort extraordinaire, des thèmes en conférence ou en ateliers pertinents, des échanges vraiment possibles et une participation du « public » toujours mise en avant.
Vous vous douterez à ce propos que j’ai bien tweeté sur le sujet, vous pourrez retrouver la majorité de mes tweets par ici.
De plus, vous trouverez toutes les vidéos des conférences et des débats en cliquant sur les éléments qui vous intéressent dans leprogramme détaillé du sommet 2012.

 

Parmi d’autres initiatives moins institutionnelles, les journées de l’Innovation qui auront lieu en mars 2013 à Paris sont l’équivalent en France. Mais en attendant, l’échange d’idées et de pratiques continue sur les blogs, sur les réseaux sociaux et bien-sûr (?) dans nos salles des profs !

9 commentaires “3 jours au Qatar pour WISE !”

  1. Bonsoir et merci pour ce récap.
    Le passage sur le cerveau est instructif et me semble fort pertinent.
    N.B : j’ai beaucoup apprécié votre LT de l’évènement, en particulier le tweet parlant aussi du rôle des parents.

  2. Merci pour ce beau compte-rendu !!! En attendant de pouvoir en discuter « en live »…
    Et n’oublions pas : « L’école, quel bonheur ! »

  3. Bonjour
    Un rapport de « stage » °) trés fidèle à ce que j’ai trouvé l’an dernier aussi à Wise. Les questions d’éducation jouent sur plusieurs échelles à la fois, mondiales ET dans une classe.
    Si tu as trouvé peu d’enseignants, c’est qu’aussi l’innovation est devenue depuis plusieurs années un enjeu du changement du système, alternatif et parfois plus efficace qu’un plan de réforme. Et il y a un intérêt pour que les décideurs, à tous niveaux, s’en emparent. Comme d’aider les enseignants, localement et collectivement, à conduire ces évolutions (on parle, tu l’as remarqué, de « développement professionnel », plus que de formation stricto sensu). cf. Video d’Helen Timperley siur le blog « innovation »
    Enfin, le COLIBRI pourrait être aussi animal totem de l’enseignant; nous en avions écrit quelques pages avec André de Peretti, avec le soutien de Carl Rogers en son temps.; Voir http://francois.muller.free.fr/contes/colibiri.htm
    Aux Journées nationales de l’innovation 2013, tu pourras y retrouver François Taddei, comme St. Dehaene par exemple, et bien d’autres..°)

  4. Merci pour ce compte-rendu, je vais passer un peu de temps à approfondir tous les liens que tu cites.
    Il y a une chose qui est bien dommage, tu as la même impression que Francois L. (blog si c’est pas malheureux) après son passage chez Apple, en France notre système éducatif est dépassé.

  5. Merci pour ce super CR qui instruit, donne à réfléchir, conforte quelques convictions et certitudes. J’aimerais échanger quelques instants avec vous….sur certains blocages du système – histoire d’apporter de l’eau au moulin….

  6. J’ai personnellement beaucoup aimé les interventions de Stanislas Dehaene et Conrad Wolfram, toutes les deux très instructives et en accord avec mes propres intuitions.
    Pour ce qui est du peu d’enseignants, il ne faut pas oublier qu’en fait beaucoup d’intervenants sont à l’origine des gens qui ont beaucoup enseigné avant d’évoluer dans leur carrière. Je sais qu’au quotidien dans les bureaux où je travaille et dans l’ »IUFM » où j’interviens comme formatrice je croise des gens qui comme moi-même sont avant tout des enseignants de terrain. Il me semble que dans pas mal de pays on retrouve ce modèle, trop rare en France.
    En comparaison avec WISE 2010 (j’avais pu assister à une journée sur les 3), mon seul regret c’est que cette année Tim Rylands et Stephen Heppell n’étaient pas présents, alors que leurs interventions précédentes étaient pourtant passionnantes. Pour le reste rien à redire, le programme est toujours aussi intéressant et personnellement je suis persuadée des effets positifs de WISE sur mes propres pratiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *